La forteresse royale de Chinon

L'entrée de la forteresse royale de Chinon

Ce qui m’intéresse surtout en visitant ces châteaux, c’est l’histoire humaine qui s’y entrelace. C’est pourquoi j’ai choisi de vous parler de Chinon aujourd’hui ; la forteresse a connu beaucoup d’intrigues tragiques qui sont entrées dans des légendes régionales et nationales. Les histoires de Foulques le Réchin et son frère, d’Henri II et ses fils, de Richard Cœur-de-Lion et de Jean-sans-Terre, de Charles VII et Jeanne d’Arc, des prisonniers anonymes qui ont laissé leurs traces dans le donjon… elles se sont toutes déroulées ici.

La Vienne

La forteresse royale de Chinon se situe dans la commune de Chinon, le département d’Indre-et-Loire et la région Centre. C’est l’une des sites où s’intersectent l’histoire de la France et celle de l’Angleterre – il y en a beaucoup dans cette région. La forteresse domine la vallée de la Vienne et la ville de Chinon. Elle est construite sur un éperon rocheux, comme beaucoup d’autres châteaux dans cette région ; c’est une position stratégique qui permet de contrôler la rivière et de se défendre contre des attaques.

La tour du Moulin donnant sur la Vienne

 La forteresse est divisée en trois parties : le fort du Coudray, le château du Milieu, et le fort Saint-Georges.

Le plan de la forteresse (cliquez pour obtenir une plus grande image)

Le site est habité depuis au moins l’an zéro. Les archéologues ont découvert le tombeau d’un guerrier gaulois qui se fit inhumer à l’emplacement du fort Saint-Georges, l’un des trois forts dont se compose la forteresse. Il avait avec lui sa grande épée, une vase, et une boucle de ceinture ; maintenant, ces objets font partie de une exposition permanente sur la vie quotidienne au château.

La grande épée du guerrier gaulois

Pendant la période gallo-romaine, l’enceinte fut fortifiée ; le mur du castrum fut construit au Ve siècle. Cette fortification continuait tout au long de cette période afin de résister aux romains, qui l’assiégèrent sans succès en 463, et aux vikings, qui pillèrent la ville de Chinon en 845.

La première tour en pierre fut édifiée en 954 sous le premier comte de Blois, Thibaud le Tricheur. Mais ni la tour, ni l’enceinte qu’il fit construire pour remplacer le vieux castrum ne servaient à rien ; en 1044, Geoffroy Martel, comte d’Anjou, prit la forteresse des comtes de Blois. Ses neveux, Geoffroy III le Barbu et Foulques IV le Réchin, lui succédèrent ; mais Foulques IV s’empara vite de l’héritage de son frère aîné, dont la forteresse de Chinon. Il emprisonnait Geoffroy III à Chinon pendant plus de vingt ans. Foulques IV ajouta à la forteresse une nouvelle enceinte en 1105.

Les restes de la tour du Trésor d'Henri II

Ce fut le petit-fils de Foulques IV, Geoffroy le Bel, qui adopta le surnom de Plantagenêt.  Son fils Henri II devint roi d’Angleterre en 1154. Avec les apports de sa femme, Aliénor d’Aquitaine, il régnait sur un vaste territoire en France. En 1160, il entreprit la construction du fort Saint-Georges sur le site de l’ancien enceinte gauloise. Chinon deviendrait l’un de ses sièges administratifs et politiques en France. Il y séjournait fréquemment, et il y mourut en 1189.

Les restes du fort Saint-Georges

Son fils Richard Cœur-de-Lion, qui avait prit serment au roi de France Philippe-Auguste, lui succéda. Richard partit en croisade avec Philippe-Auguste peu après la mort de son père. Mais Philippe-Auguste, rentrant en France bien avant Richard, le trahit ; Richard fut emprisonné par l’empereur du Saint-Empire Henri IV dit le Cruel. Il resterait emprisonné jusqu’en 1194, et ce fut pendant cette période que son frère, Jean-sans-Terre, s’empara de son héritage – dont Chinon.

La tour du Moulin, construite par Jean-sans-Terre

Jean-sans-Terre continuait de renforcer les défenses du château afin de résister à Philippe-Auguste. Il fortifia le fort Saint-Georges, isola par une douve le fort du Coudray du reste du château, et construisit la tour du Moulin à la fin du XIIe siècle. Cette dernière est très intéressante : elle est construite sur une base carrée entourée d’une chemise (un mur protecteur), mais le haut de la tour est rond. C’est un exemple de la transition entre les tours carrées et les tours rondes qui opérait pendant cette période ; la tour du Moulin aurait été le dernier cri en son temps. En plus, la voûte à l’intérieur de la tour est de style gothique, ce qui est caractéristique de cette période mais très rare dans les châteaux des Plantagenêt.

La voûte gothique de la tour du Moulin

Mais en fin de compte, toutes les innovations guerrières de Jean-sans-Terre ne servaient à rien : Philippe-Auguste réussit à prendre Chinon en 1205. Lui aussi poursuivait des fortifications, dont la tour du Coudray et des tours de flanquement. (Au fait, on ne sait pas trop d’où vient le nom « Coudray » ; c’est peut-être lié à la présence des noisetiers dans le fort – des coudres en vieux français.)

La tour du Coudray et le pont entre le château du Milieu et le fort du Coudray

La tour du Coudray était, elle aussi, très poussée à l’époque. On y accède par le deuxième étage, dont la porte est protégée par un assommoir. Ses trois nivaux ont tous des meurtrières. La tour dispose de cheminées, de latrines, et d’un passage souterrain pour fuir en cas de siège. Ces éléments auraient été très sophistiqués, et montrent bien l’importance stratégique de Chinon.

Voilà le niveaux le plus profond de la tour du Coudray qui est accessible au grand public

Cette tour fut utilisée comme prison pour des dignitaires de l’ordre du Temple (des chevaliers templiers) en 1308. Ils nous ont laissé des traces de leur présence sous forme des graffiti bizarres.

Les graffiti des chevaliers de l'ordre du Temple

À part l’histoire tragique des Plantagenêt, Chinon est connu aussi pour sa part dans l’histoire de Jeanne d’Arc, qui rencontra Charles VII pour la première fois dans les logis royaux de la forteresse. L’emplacement des logis était déjà occupé dès le XIIe siècle par une grande salle utilisée pour la vie quotidienne ; un autre bâtiment fut ajouté à l’ouest pendant le XIIIe siècle. Vers 1370, Louis Ier d’Anjou reconstruisit la grande salle pour en faire une salle de justice. Ce fut au temps de Charles VII que les logis prirent leur configuration définitive de trois ailes autour d’un cour, dont rien ne reste aujourd’hui que l’aile sud. C’est grâce à Jeanne d’Arc que la salle de justice a aujourd’hui le nom de « salle de la Reconnaissance ». Selon la légende, ce fut dans cette salle que Jeanne reconnut Charles VII bien qu’il fût vêtu simplement au milieu de ses courtisans. En fait, Jeanne et Charles se rencontrèrent pour la première fois dans une petite chambre dans les logis, et seuls quelques conseillers du roi assistèrent à cette rencontre. Elle fut logée dans la tour du Coudray pendant que sa virginité fut vérifiée.

Les restes de la salle de la Reconnaissance

Après la Guerre de Cent Ans, Chinon perdait beaucoup de son importance. Il n’occupait plus une position stratégique et fut abandonné au profit d’autres châteaux plus modernes. Avec le temps, il tombait peu à peu en ruines. La forteresse servait de prison au XVIIe siècle ; aujourd’hui on peut voir les graffiti gravés par les prisonniers dans la pierre tendre propre à cette région (le tuffeau).

Des graffiti du XVIIe siècle dans la tour d'Argenton

Pendant le XIXe siècle, les ruines du château servaient de parc publique, et en 1840 le site fut classé Monument Historique. Mais les ruines restaient dangereux, et ce n’est que grâce à l’intervention de Prosper Merimée que la forteresse existe toujours aujourd’hui.

Le parc du XIXe siècle dans le château du Milieu

La restauration des logis royaux, qui s’est commencée en 2003, vient de s’achever très récemment. On a utilisé uniquement les matériaux et les techniques de construction qui aurait été utilisé au Moyen-Âge.

Les logis royaux restaurés

C’est l’un des plus grands (et des plus chers) projets de restauration de patrimoine en Europe actuellement, le budget étant à peu près 17 million d’euros.

Les logis royaux donnant sur la Vienne

Vous pouvez aussi accéder à mes autres photos du château de Chinon.

This entry was posted in I - 23 mars / discussion. Bookmark the permalink.

6 Responses to La forteresse royale de Chinon

  1. Jack Santino says:

    Merci beaucoup pour ce leçon d’histoire! Il est très interresant, surtout le graffiti ancien.

  2. nicola says:

    Excellente recherche !

  3. Gwyneth says:

    Jack — Oui, j’ai trouvé les graffiti particulièrement intéressants! La plupart d’entre eux datent (paraît-il) des XXe et XXIe siècles, mais il y en a pas mal qui datent du XIXe (quand Chinon était un parc public), et quelques-uns des XVIIIe et XVIIe. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est qu’il n’y avait pas d’avertissements du genre “Merci de ne pas graver sur les murs!” Il paraît être presque une tradition de graver son nom et la date, et peut-être un court message, sur les murs de Chinon.

  4. Gwyneth says:

    Merci, Madame! En fait, la grande majorité des mes “recherches” sont tirées directement de la visite guidée du château! J’ai dû rechercher quelques dates, mais la visite guidée était très approfondie et j’ai beaucoup appris grâce à notre guide.

  5. Bridget Fitzpatrick says:

    Vos photos de la Vienne sont magnifique!! Merci beaucoup!

  6. Gwyneth says:

    Merci, Bridget! J’avais de la chance là, car il faisait assez gris pendant la plupart de la journée; mais le temps s’est éclaircit juste avant mon départ.

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